Points de vue

Placer l’humain au cœur du changement pour susciter l’adhésion

Change management

Le changement n’est plus une force dans l’environnement. Le changement, c’est l’environnement. Les organisations font face à un tourbillon d’innovations technologiques, des clients toujours plus informés et exigeants, des pressions réglementaires et concurrentielles auxquelles s’ajoute l’incertitude économique renforcée par une crise sanitaire sans précédent.

Dans nos deux articles précédents (Partie 1. Les écueils et bonnes pratiques prouvées du Change & Partie 2. Le Change Management a besoin de changement : quelles prochaines étapes ?), nous avons abordé la nécessité de prendre du recul sur les classiques du change management, pour en tirer le meilleur et l’augmenter de nouvelles pratiques adaptées au monde d’aujourd’hui. La conduite du changement doit changer ; voyons aujourd’hui comment elle peut mieux intégrer l’humain en son cœur pour susciter l’adhésion.

Une des premières thématiques étudiées en matière de conduite du changement était l’existence de freins au changement. Particulièrement, la notion de résistance des collaborateurs au changement est centrale : il s’agit d’un « phénomène qui affecte le processus de changement, retardant ou arrêtant son commencement, entravant sa mise en place et augmentant ses coûts ».[1] Cette résistance peut concerner tous les membres de l’organisation : les employés, les managers et même la direction. Elle peut être individuelle ou collective. Elle se manifeste de manière active (refus, critique, plainte, sabotage) ou passive (lenteur, rumeurs, ralentissement)[2]. Dans tous les cas, elle repose généralement sur des émotions humaines toutes naturelles, et sur deux pensées interreliées : « j’ai peur » et « je n’ai pas envie ».

« 70 % des initiatives liées à la conduite du changement sont un échec. En cause, deux raisons principales : la résistance naturelle et le manque d’accompagnement. » [3]

Quelles solutions apporter aujourd’hui à ce problème qui existe depuis très longtemps, et qui a été théorisé il y a trente ans déjà ? Nous pensons qu’une approche mettant l’humain au cœur de la conduite du changement peut aider à lever ces résistances. Nous identifions dans cet article deux questions critiques auxquelles il est nécessaire de répondre clairement avant le déploiement, afin qu’il se déroule dans les meilleures conditions : « pourquoi devons-nous changer ? » et « comment allons-nous changer ? ».

1) « Pourquoi devons-nous changer ? »

Avant la conduite du changement au sens propre, il y a l’intuition selon laquelle celui-ci est nécessaire. Pourtant, rares sont les projets au sein desquels les raisons du changement sont explicites pour tous. Les opérations de communication classiques en la matière précisent généralement qu’un changement va avoir lieu mais ne s’intéressent pas à ce qu’il pourrait induire de positif pour chaque métier. En général, seule la Direction a une vision d’ensemble et s’approprie entièrement le sujet du changement. Ce manque de partage des informations peut amplifier l’incertitude et la perception du risque.

Les marins d’un bateau auxquels on ordonne de virer de bord sans explication seront-ils aussi motivés que ceux auxquels on donne le même ordre en précisant qu’on va au Brésil ? Et qu’en sera-t-il de ceux auxquels on ajoute que ce virement de bord leur permettra de profiter des plages sur place ?

En d’autres termes, il faut miser sur la transparence et faire en sorte que chacun reçoive l’information dont il a besoin selon son métier et ses attentes.

Nous identifions deux approches permettant la transparence autour de la question « pourquoi nous devons changer » :

1) L’approche co-construction

Cette première approche consiste à impliquer de manière sincère les collaborateurs, en leur permettant de participer à la réflexion. Celle-ci a l’avantage de constituer un réel moteur d’adhésion au projet, et de lever les réticences liées à la peur ou à l’incompréhension.


ON ADHERE PLUS VOLONTIERS A UN CHANGEMENT LORSQU’ON A CONTRIBUE A EN DEFINIR LES RAISONS

Dans ce cas de figure, il est recommandé que la Direction encadre le processus de décision de façon claire, et définisse au préalable les règles du jeu : quelle sera l’attention accordée à l’avis des collaborateurs ? A quel point celui-ci sera-t-il pris en compte relativement à la décision à prendre ? Qui sera le décisionnaire final ?

Notre expérience a montré qu’il était très néfaste d’adopter l’approche « co-construction » dans un but purement marketing, sans intention sincère de recueillir l’avis des collaborateurs. Toutes les organisations ne sont pas prêtes culturellement à fonctionner de cette manière : si la prise de décision reste très hiérarchique et que la Direction Générale n’est pas accoutumée à la consultation des équipes métiers, alors il vaut mieux l’exposer clairement et opter pour une autre approche.

 

2) L’approche top-down

Dans les organisations au sein desquelles la co-construction n’est pas envisageable, et où la décision sera effectuée du haut vers le bas, il est toutefois nécessaire de permettre aux collaborateurs de réfléchir autour de ce que ce changement peut leur apporter. La compréhension diminue l’appréhension, et augmente l’adhésion au projet.


ON ADHERE PLUS VOLONTIERS A UN CHANGEMENT DONT A PERCU L’INTERET POUR NOUS

A titre d’exemple, l’organisation d’ateliers « What’s in for me ? » permet à chaque collaborateur de cerner les enjeux qui entourent le changement en cours. A ce stade, il est plutôt question de rassembler autour des domaines sur lesquels le changement peut apporter du positif. La conduite du changement avec l’humain au centre doit nécessairement inclure des temps de réflexion autour des enjeux, du « pourquoi », avant d’aborder le « comment »… Et montrer que les gains sont bien supérieurs aux pertes (qu’il s’agisse de pertes factuelles, ou de pertes perçues / supposées).

Le coaching en collectif peut permettre de travailler sur les peurs et craintes des collaborateurs, en lien direct avec leurs aspirations. Nous distinguons particulièrement deux outils d’animation à tester :

  • Le modèle « tête-cœur-tripes » issu de l’intelligence collective,
  • Le modèle « le vrai, le bien, le beau » héritée de la pensée de Platon.
2) « Comment allons-nous changer ? »

Le changement a été assimilé comme nécessaire et les collaborateurs en ont compris les enjeux ; il faut maintenant passer à l’étape de la définition du « comment » le changement va se produire. Ici, trois éléments sont de mise pour lever les freins comportementaux.

1) Miser sur l’implication des collaborateurs

La co-construction du « comment changer » est à ce stade une condition sine qua non de la réussite du changement, et ce pour deux raisons principales :

  • « C’est celui qui fait qui sait »: les collaborateurs présents sur le terrain sont les plus aptes à anticiper la meilleure manière de changer ;
  • Participer, c’est adhérer: les collaborateurs qui auront été concertés dans la conduite du changement seront en meilleure mesure de s’impliquer.

La co-construction est inévitablement vectrice de sens pour les collaborateurs : elle a toutes les chances de faire coller le changement avec les besoins du terrain, et permet au changement d’être plus plébiscité.


ON EST TRES DIFFICILEMENT ACTEUR D’UN CHANGEMENT QUI NOUS A ETE IMPOSE OU DONT LE DEROULEMENT EST EN DECALAGE AVEC NOS ATTENTES

2) Intégrer la vision de l’organisation dans la réflexion

Le changement peut, et doit s’inscrire dans une réflexion de plus long terme liée à la vision de l’organisation. C’est à ce stade du « comment changer » qu’il est pertinent d’y réfléchir : assurer la cohérence entre les projets en cours et la vision que l’organisation défend à plus long terme est un enjeu de crédibilité envers les collaborateurs.

Il est important de souligner que les attentes de ces derniers ont beaucoup évolué au cours des dernières années. La loi Pacte en est une belle démonstration : les entreprises doivent prendre en compte leur impact sur la société et l’environnement, et elles peuvent se doter d’une raison d’être voire devenir entreprise à mission. Une évolution législative en total accord avec la quête de sens de nombreux salariés :

37% des français sont d’accord avec l’affirmation « Je suis prêt(e) à accepter une rémunération moindre pour un projet qui a du sens » (dont 50% des 18-24 ans). [4]

On imagine bien que si un collaborateur peut accepter une rémunération moindre, il peut aussi s’impliquer avec plus de passion et moins d’appréhension dans un changement dont il a perçu le sens.


ON PARTICIPE PLUS VOLONTIERS A UN CHANGEMENT DONT ON VOIT LA COHERENCE VIS-A-VIS DE L’ORGANISATION

3) Jouer sur le collectif et l’effet d’entrainement

Il faut aussi garder en tête que les interactions sociales sont au cœur d’un projet de changement. Pour lever les derniers freins s’assimilant à « je n’ai pas envie », sont souvent mises en place des communautés de pratique, c’est-à-dire des groupes de réflexion entre collaborateurs. Il a souvent été préconisé de rassembler les collaborateurs les plus réfractaires avec les collaborateurs les plus favorables au changement. Une lecture psychologique des relations sociales démontrerait que cette méthode peut, au lieu de rassembler, antagoniser les points de vue. Le travail de Cass Sustein à ce sujet, juriste et professeur de droit à Harvard, est particulièrement intéressant [5] :

  • Lorsqu’on rassemble deux personnes n’étant pas du tout d’accord, elles en ressortent avec un avis encore plus extrême.
  • Lorsqu’on rassemble deux personnes étant plutôt d’accord, elles ressortent parfaitement convaincues de la même chose.

Il existe cependant un indéniable potentiel effet d’entraînement avec les communautés de pratique. Nous pensons qu’il est plus cohérent d’identifier les collaborateurs « moteurs » dans le changement pour les faire travailler avec les collaborateurs qui doutent, hésitent, afin de trouver un seuil de dépassement de l’inertie… Quitte à mettre de côté les collaborateurs résolument réfractaires, qui n’apporteront aucune contribution au projet.

ON SE CONVAINC PLUS FACILEMENT DE LA COHERENCE D’UN PROJET LORSQUE D’AUTRES COLLABORATEURS EN SONT DEJA CONVAINCUS

Anticiper les réactions naturelles d’incompréhension ou de peur, et intégrer l’humain dès les toutes premières étapes de la conduite du changement est la meilleure façon de lever les freins qu’on rencontre fréquemment. La conduite du changement démarre bien avant le déploiement du projet.

Bien évidemment, ces bonnes pratiques devront se décliner ensuite tout au long de la mise en œuvre du projet. Il est cependant important de noter que la résistance au changement, parce qu’elle est parfaitement naturelle, ne peut pas être éradiquée totalement. Il y aura toujours des collaborateurs résolument réfractaires. Or, « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » ; dans ces situations, il faut donc faire preuve de courage managérial et les écarter du projet, auquel ils ne contribueront pas de toute manière.

[1] Ezzahra Zouhaoui, F. (2019, 18 juillet). L’accompagnement au changement technologique, le manager driver doué d’intelligence émotionnelle : cas de l’implantation de nouveaux progiciels de gestion intégrée dans une entreprise internationale de service. Consulté à l’adresse https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02187572/document

[2] HEC Montréal. (2004). La résistance au changement : synthèse et critique des écrits. Consulté à l’adresse http://web.hec.ca/sites/ceto/fichiers/04_10.pdf

[3] Les Echos. (2018, juin 4). Conduite du changement : 5 idées pour améliorer votre centre de contacts. Consulté à l’adresse https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/conduite-du-changement-5-idees-pour-ameliorer-votre-centre-de-contacts-133131

[4] BCG / IPSOS. (2020, janvier 1). Baromètre « Talents » : ce qu’ils attendent de leur emploi. Consulté à l’adresse https://www.bcg.com/Images/Etude-BCG-CGE-IPSOS_tcm96-237878.pdf

[5] Cass R. Sunstein, « The Law of Group Polarization » (John M. Olin Program in Law and Economics Working Paper No. 91, 1999).