Points de vue

Interview croisée : Personae S1. Ep2. CX

Par 18 septembre 2019 Pas de commentaires
Expérience client
3 praticiens chevronnés de l’expérience client, Prisca Gillet (P.G.), experte métier en mutuelle et représentante de l’approche Personae chez Malakoff Médéric Humanis, Guillaume Capron (G.C.), responsable de la Performance Client chez Malakoff Médéric Humanis et Luna Dekker (L.D.), Manager spécialisée dans l’Expérience Client chez Tenzing Conseil, partagent leur vision et convictions autour des Personae, de leur valeur et de leurs usages.

Dans cette interview croisée, les approches et retours de leurs différentes expériences sont l’occasion de revenir sur des enseignements concrets au service de vos démarches Personae.

Les personae permettent d’améliorer notre connaissance client. Ils sont également un vecteur fort pour diffuser la culture client à l’ensemble des collaborateurs.

Prisca GilletExperte métier en mutuelle et représentante de l’approche Personae chez Malakoff Médéric Humanis

Les personae ne sont pas une révolution mais un facilitateur accessible à tout type d’entreprise pour déployer une démarche d’amélioration de l’expérience client.

Guillaume CapronResponsable de la Performance Client chez Malakoff Médéric Humanis

Parmi les experts du Design Thinking et de l’expérience client, il y a les fervents convaincus de l’approche des personae, et ceux qui doutent de sa valeur. Si j’ai moi aussi longtemps douté du bien-fondé du Persona, je suis aujourd'hui convaincue qu'elle permet d'atteindre un niveau de personnalisation qui, au-delà de répondre avec précision à des besoins ciblés, génère de l’émotion dans l’expérience, et donc le tant attendu effet waouh qui fidélise et fait rayonner.

Luna DekkerSenior Manager spécialisée dans l’Expérience Client chez Tenzing Conseil
Selon vous, quelle est la valeur des Personae dans une approche d’amélioration de l’expérience client ?

P.G. : Selon moi, dans une démarche d’amélioration de l’expérience client, les personae permettent d’améliorer notre connaissance client. En analysant leur contexte et motivations profondes, nous pouvons incarner nos clients dans nos projets et repenser les parcours, les supports de communication, voire imaginer de nouveaux produits ou services. Les personae sont également un vecteur fort pour diffuser la culture client à l’ensemble des collaborateurs.

L.D. : Parmi les experts du Design Thinking et de l’expérience client, il y a les fervents convaincus de l’approche des personae, et ceux qui doutent de sa valeur. Si j’ai moi aussi longtemps douté du bien-fondé du Persona, c’est aussi parce que nous en avons fait la pratique théorique et opérationnelle sur de nombreuses missions sans vraiment en recueillir la valeur fondamentale. Et cette valeur selon moi c’est la capacité à atteindre un niveau de personnalisation qui, au-delà de répondre avec précision à des besoins ciblés, génère de l’émotion dans l’expérience, et donc le tant attendu effet waouh qui fidélise et fait rayonner.

G.C. : Le persona a plusieurs vertus. Dans certaines organisations pour lesquelles le client ne fait pas encore partie de l’ADN, le persona permet de rendre le client plus humain, plus proche de soi. Les tenseurs qui le définissent parlent à l’humain derrière le collaborateur. C’est plus profond tout en étant + personnel. Nous ne sommes pas égaux face à l’expérience client. Chacun de nous a des habitudes, des valeurs, des attentes qui différent. Tout cela façonne notre jugement de l’expérience client. Une direction de l’Expérience client doit donc pouvoir offrir des expériences adaptées aux attentes multiples, et les personae facilitent cette réponse adaptée.

Selon vous, en quoi les Personae diffèrent des Segments et Profils Type ?

P.G. : Un persona est un personnage fictif représentant un groupe de clients dont les besoins,  les comportements et le rapport à une marque sont assez similaires. Ils vont permettre de comprendre le pourquoi des comportements clients (prédictif) alors que la segmentation permet de comprendre qui sont les clients (descriptif) ; la segmentation utilise des critères objectifs alors que le persona sera plus dans le narratif subjectif (story telling). Par ailleurs, le persona sert à repenser les parcours clients, imaginer de nouveaux produits ou services, diffuser la connaissance client, … là où la segmentation sert à différencier sa relation client, cibler certains clients, analyser l’évolution de sa base client dans le temps.

En synthèse, les personae vont nous aider à comprendre le sens et la diversité, la segmentation va nous aider à capter la répartition. Personae et segmentation sont donc selon moi, deux notions différentes mais complémentaires à prendre en compte.

L.D. : La personnalisation et l’adaptation d’une solution à son audience est un levier marquant de l’expérience client depuis bien longtemps. La segmentation client (par secteur, par taille d’entreprise, par valeur …) a d’abord permis de mieux répondre à des besoins spécifiques et de proposer des expériences différenciées dans la relation. Puis la création de client type/typologie de client (le client méfiant, le client passif…) a permis une catégorisation plus fine et l’introduction d’éléments émotionnels aux profils des audiences ciblées. Les clients ont également commencé à être intégrés aux démarches de construction plus fréquemment et sur des panels aux profils plus spécifiques.

Mais l’approche du persona se différencie par deux aspects : la méthode avec laquelle il est construit qui systématise l’implication des clients, qui relève d’une analyse sociologique précise et qui introduit des tenseurs ET la manière dont il est utilisé, qui ne fait pas de généralités pour obtenir un groupe représentatif, mais introduit des critères extrêmes -ceux-là mêmes qui permettent de générer de l’émotion- plus proches de la réalité de chacun. Concrètement, un client type représente un groupe dans lequel tout le monde et personne ne se retrouve vraiment. Il permet assez efficacement d’adapter un discours, une approche, voire une expérience mais n’illustre jamais réellement tout ou partie des tenseurs qui constituent l’expérience d’une personne comme le permet le persona.

G.C. : La finalité reste la même : Ne pas traiter tous nos clients de la même manière. Si on doit absolument les comparer, on pourrait dire de manière très schématique que la segmentation peut répondre à la question Quoi ? Quand le persona répond à la question Comment ?

Dans leur conception, les segments sont très discriminants. Je suis une entreprise de moins de 10 salariés ou de + de 10 salariés. Or le concept de persona est beaucoup plus ténu. Je peux être en majeur « Un client pressé » tout en ayant un ascendant « Client aspirationnel ». Un client n’est jamais à 100% un persona car un persona est en quelque sorte une caricature grossière. Un persona est plus robuste qu’une segmentation, sans être non plus totalement immuable. Une segmentation prend souvent en compte l’écosystème du client. Dans le cadre du B2B par exemple, un DRH qui change d’entreprise, peut facilement se retrouver dans un nouveau segment. Cependant, comme il ne change pas ses réflexes, son mode de fonctionnement, son persona évoluera peu ou partiellement.

Comment construit-on des Personae ?

P.G. : Construire un persona, c’est d’abord le comprendre et pour cela, il faut analyser : des études exploratoires aux interviews des interlocuteurs terrain, en passant par des analyses sociologiques et digitales de comportements. Dans un second temps, il faut dépasser l’analyse et comprendre la réalité terrain en faisant des immersions auprès de clients et non clients afin d’explorer les besoins et usages de la cible. Enfin, lors de sessions de travail collaboratives nous identifions des tenseurs (facteurs liés au contexte ou à la personnalité de l’individu qui influencent significativement le comportement), et constituons des profils emblématiques au sein du panel interrogé qui permettent finalement l’élaboration et la validation des personae.

L.D. : De toutes les entreprises que j’ai accompagné sur les sujets d’Expérience Client, pas deux ont utilisé les mêmes méthodes : de l’étude sociologique rigoureuse et précise à l’estimation au doigt levé de personnes et leurs tenseurs, d’une bibliothèque réduite de personae référence à une multitude de personae fictifs par projet. Mon constat : une approche sociologique rigoureuse permettant une industrialisation des usages et la création d’une base de personae légitime, commune et pertinente engendre davantage de leviers de valeur et cas d’usage. Pour le reste, les Personae peuvent n’être qu’une étape dans les nouvelles méthodologies en vogue sans grande valeur concrète, voire aux impacts contre-productifs.

G.C. : Pour reprendre la métaphore, on construit un persona comme un caricaturiste de la place du Tertre : Il observe son client, il trouve le trait discriminant de son client et il l’exagère. Comme l’ont dit Prisca et Luna, C’est une démarche sur le papier assez simple : Il suffit d’écouter nos clients, de les observer et de les représenter ensuite. La difficulté réside dans l’identification des tenseurs qui les différencient et dans la capacité à créer des personae qui soient représentatifs du plus grand nombre. C’est un travail passionnant de recherche ethnographique et sociologique.

Quels sont les différents cas d'usage des Personae ?

P.G. : Il existe de nombreux cas d’usages des personae, les plus traditionnels étant pour :

  • Comprendre le comportement des clients et des prospects (se mettre dans leur peau)
  • Repenser les parcours client et adapter la communication
  • Imaginer de nouveaux produits ou services
  • Diffuser la connaissance client en interne

Nous souhaitons également que les personae deviennent un outil à destination des commerciaux pour les aider à comprendre les attentes clients et à adapter leur discours en conséquence, un outil pour la Relation client pour adapter les postures des conseillers, un outil Marketing pour personnaliser les campagnes commerciales et bien plus…

L.D. : Une autre idée préconçue autour des personae est qu’ils ne sont utilisés que lors de la phase d’idéation en conception de nouveaux produits et services. Or les personae s’inscrivent dans la durée et doivent servir sur tout le cycle de vie d’une solution/d’un parcours. Du moment où l’on capte le besoin et les attentes des clients, à la mise en marché du service en passant par une conception sur-mesure. Parmi ces nombreux cas d’usage, les personae sont présents :

  • Lors de la phase d’idéation qui cible les audiences prioritaires, on dessine les caractéristiques permettant de les impliquer dans la compréhension de leurs besoins, dans la conception des solutions personnalisées …
  • Lors de la phase de fabrication, durant laquelle la solution proposée est adaptée aux personae et testée par les clients représentatifs pour être ajustée
  • Puis lors de la mise en marché pour une adaptation des campagnes marketing, des approches et discours commerciaux, de la communication …
  • Et enfin lors de l’analyse des données clients pour renforcer votre connaissance des personae mais aussi leur représentativité dans votre base client. Ce mapping devient aussi l’occasion d’identifier les personae les plus impactés par certains irritants mais aussi de débiaiser les taux de satisfaction de la qualité réelle de l’expérience, aux tenseurs de chaque personae, de prioriser les actions menées tant sur le fond que sur la cible …

G.C. : Au sein de MMH, nous avons travaillé sur des premiers cas d’usage autour du plan relationnel (comment interagir avec le client/avec le persona ?). Quelle est l’appétence de nos personae à la dématérialisation de certains de nos services de santé ? Au sein des directions en lien direct avec le client comme le commercial et la relation client, il y a beaucoup à faire pour aider les conseillers à identifier le persona du client  afin de mieux adapter leur discours, leur offre. Etc.

Ce ne sont que quelques exemples. Nous en avons encore des dizaines à réaliser. Chaque direction, chaque équipe, chaque collaborateur peut avoir son propre cas d’usage.

Enfin selon vous, quels sont les facteur clé de succès, ou au contraire d’échec, dans la mise en œuvre d’une démarche de Personae ?

P.G. : Selon moi les facteurs clés de réussite ou d’échec sont liés :

  1. à la démarche d’élaboration des personae eux-mêmes :  Quels sont les profils identifiés ?  Qui a-t-on interviewé : des collaborateurs qui se mettent à la place du client ou directement en interrogeant des clients et prospects ? Pour MMH, il nous a semblé important de travailler sur les clients eux-mêmes mais aussi sur les non clients !  La constitution des personae se concentre bien souvent sur la base de clients actuelle de l’entreprise ; Or cette démarche peut prendre une dimension supplémentaire si elle englobe également les non clients afin de comprendre les motivations qui poussent certains clients à privilégier la concurrence et connaitre les personae les moins représentés dans nos bases client par rapport au marché

2. à l’animation et diffusion de la démarche  personae : les personae sont généralement  peu utilisés à l’exception des équipes Marketing en phase de réflexion pour le lancement de nouvelles offres et services ; alors que c’est un outil très puissant au service de l’amélioration de l’expérience client qui peut tout à fait être utilisé dans d’autres cas d’usages .

L.D. : Si avec l’expérience, je suis maintenant convaincue que les personae peuvent avoir une valeur forte, leur mise en œuvre présentent des contraintes importantes et un persona fait approximativement est contre-productif. Quelques facteurs clés de succès :

  • Définir les personae en suivant une approche scientifique/sociologique
  • Définir des personae qui constituent une base pour l’ensemble de l’entreprise
  • Permettre en quelques questions d’associer un client à un persona/voire être capable de mapper les personae à la base client
  • Contribuer à l’acculturation client par l’usage des personae auprès de l’ensemble des métiers

Autant de bonnes pratiques que Malakoff Médéric Humanis lance à l’état de l’art.

G.C. : Ce sont justement les cas d’usage qui peuvent permettre de faciliter l’acculturation des personae au sein d’une organisation. Si les collaborateurs se les approprient, jouent avec, les utilisent au quotidien, c’est le signe le plus fort d’une appropriation réussie. Leur présenter les personae puis réfléchir avec eux aux cas d’usage à mettre en place.

La grande difficulté réside dans le rapprochement des personae avec une base de données client traditionnelle. Traditionnelle dans sa structure, comme dans son contenu. Il y a de fortes chances pour que les personae ne soient pas définis par les données déjà connues. On se retrouve alors avec un instrument de musique sans partition. On ne sait pas le mettre en musique. Dans notre démarche, nous n’avons pas utilisé la bonne approche, nous n’avons pas pensé à ce rapprochement lors de leur conception. Nous avons du le faire après coup et cela a compliqué nos travaux. Si nous devions le refaire, nous intégrerions dès le départ la dominante base de données à la recherche ethnographique afin de livrer l’instrument avec sa partition.

Vous voulez en savoir plus sur l’approche des Personae et comment elle peut servir la transformation de votre Expérience Client ?

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