Points de vue

Industrialiser l’innovation centrée client : Parcours vs Processus

Expérience client Stratégie & Innovation

Ce n’est plus uniquement le produit, ce n’est plus uniquement le service, c’est l’expérience ! Expérience client, Parcours client, Orientation client, … toutes les entreprises n’ont que ces mots à la bouche. Mais combien sont-elles à avoir dépassé le stade des concepts sur étagère ? Combien ont réussi à implémenter et industrialiser leurs nouvelles expériences ? Au-delà du discours et du « customer washing », comment assurer la mise en œuvre opérationnelle d’une stratégie orientée vers ses clients ?

Vous pourriez me dire que cet article arrive deux ans trop tard, tous les grands groupes ou presque ont déjà déployé une stratégie « client », pilotée par des équipes marketing, digital, ou innovation. Des armées de collaborateurs ont été formés aux nouvelles méthodes miracles (design thinking, design sprint, lean startup, …), et des POC ont été lancés à tout va ! Mais justement, il me semble que le temps est venu d’un premier bilan, tant de démarches ont été déployées, testées, et confrontées à la réalité, on peut en tirer aujourd’hui des enseignements utiles, et surtout partager ensemble ce qui marche, et ce qui ne marche pas.

1. Réinventer les parcours clients, des écueils méthodologiques :

L’histoire commence souvent au même endroit… une pièce sympa, des post-it partout, des équipes issues de tous les services, on y est ! Brainstorming, workshops, ateliers, … la recette est plus ou moins toujours la même :

  • On injecte du contenu à propos des clients (des études « voix du client », des enquêtes terrain, des benchmarks, …)
  • On pense uniquement avec la vue du client et pas celle de ses process internes (pas si facile n’est-ce pas ?)
  • On illustre les nouvelles opportunités sous la forme d’un parcours incarné par des personas, expérience émotionnelle oblige !

Ça y est ils sont là, tous beaux tous chauds… les nouveaux parcours de nos clients ! Les grands posters trônent dans l’openspace, les équipes sont fières du chemin parcouru, maintenant il faut regarder ce que l’on va pouvoir tester tout de suite auprès des clients, et ce que l’on fera « dans un deuxième temps ». On remet alors dans la boucle, les process internes, les contraintes techniques, juridiques, budgétaires, et là, … c’est le drame. Quelques workshops plus tard, on accouche finalement d’une V 12.4 plus réaliste, mais presque identique à la première version… si on vous assure !

De là, s’en suit un long travail d’arbitrage et de priorisation, la méthode « agile » de vos équipes IT passe par là, et vos nouveaux parcours clients sont saucissonnés briques par briques en fonction du poids de chaque « features » et des « capacités à faire » disponibles : MVP, release 1, 2, 3, 4, … avec un peu de chance, l’ensemble de votre nouvelle expérience client sera opérationnelle d’ici un an… ou deux ! Je pousse ici la caricature à l’extrême, mais ces écueils sont bien réels, et font certainement écho à des expériences que vous avez connues… j’ai pour ma part trois incohérences de méthode que je retrouve de manière récurrente, et qu’il me semble pertinent d’exposer :

1.1 S’entêter à vouloir construire des Personas exhaustifs et « parfaits » :

Comprendre les « vrais » clients, dans le micro-détail de leurs quotidiens, n’a aucun intérêt si finalement vous ne proposez pas de solution protéiforme qui adresse la diversité de ces micro-situations. Combien de semaines, de mois, passez vous à sélectionner les panels, mener les entretiens, les observations, les focus group, puis faire la synthèse croisée des multiples irritants, pour remonter aux points de douleurs, et enfin construire les sacro-saints « Personas » ? Passerez-vous vraiment à côté d’un insight clé si vous ne menez pas ces fameux 50 entretiens avec la rigueur méthodologique d’un scientifique en salle blanche ? Ce qui est intéressant avec les Personas, ce n’est pas leur précision millimétrique, c’est qu’ils permettent de se projeter dans des personnalités et des comportements différents afin d’imaginer tous les scénarios possibles. C’est un exercice de formalisation très utile pour la phase d’idéation, mais il ne faut pas en rester prisonnier et en faire un cadre rigide !

On met à chaque fois 3 mois à les construire, et finalement ils se ressemblent tous… Pour ma part, c’est fini ! Depuis quelques temps, je préfère par exemple construire des archétypes sociologiques avec une simple matrice 4 cases, en croisant deux axes comportementaux, par exemple la relation à l’espace (proche/loin), au temps (court /long), aux autres (egocentrisme/allocentrisme), ou encore aux choses (une fin/un moyen). De multiples combinaisons existent et vous pouvez à chaque fois sortir avec des profils motivationnels qui vous feront gagner beaucoup de temps, sans pour autant négliger la diversité des comportements de vos clients.

1.2 Construire le parcours d’un « idéal fantasmé » à propos du client

Après les personas, vient généralement le tour du « parcours » (experience map, customer journey, …). On mappe dans le temps les points de douleurs, on en déduit des « moments de vérité », et on vient faire émerger quelques opportunités d’actions correctrices. « Martine reçoit un email de son nouveau conseiller, elle est ravie d’apprendre que désormais la banque l’informe proactivement ». Evidemment, la vraie Martine se moque éperdument de recevoir un email de son conseiller qui ne lui raconte rien de très intéressant. Martine a sa vie et la seule chose qui l’intéresse, c’est comment on va l’aider pour bien la vivre. Sous couvert d’écoute attentive et empathique, les parcours sont trop souvent décrits sous un prisme d’entreprise (c’est qu’être réellement empathique… ce n’est pas si simple !). « Le client doit faire ceci, le client clique là ». En l’état ce ne sont pas des parcours clients, mais des parcours de « ce que doit faire le client » … pour satisfaire les désirs de l’entreprise, et non les siens ! On marche sur la tête.

Les parcours eux aussi, finissent par tous se ressembler : multiplication des points de contacts pour s’assurer d’une relation captive (proactivité en amont de l’expérience et suivi en aval), simplification et fluidité des échanges d’informations et de l’interlocution, liberté de choix et personnalisation de l’offre, pédagogie et accompagnement à géométrie variable en fonction de l’expertise, etc. Pourtant dans cette phase cruciale, l’enjeu n’est pas tant de reconstruire un parcours idéal, tel un correctif à partir des doléances de vos clients, mais bien de concevoir la meilleure expérience, nourrie de la connaissance client contextuelle certes, mais structurée selon les codes et les grands principes constitutifs d’une « expérience idéale », qui eux, sont relativement universels :

  • Ce qui se passe AVANT : ce que le client fait avant d’entrer dans l’expérience que vous proposez (oui, il a une vie avant vous…)
  • Ce qui se passe PENDANT : l’expérience à proprement parlé, est-ce une transaction à distance, plusieurs RDV dans un lieu physique ?
  • Ce qui se passe APRES : ce que le client fait une fois qu’il reprend le cours de sa vie (eh oui ça arrive aussi !)

Une fois tous les éléments de la connaissance client rangés dans ces trois cases, on peut identifier les points à faire évoluer, à l’aide de quelques règles simples. Dans le design d’une expérience par exemple, il faut se rappeler que l’humain a horreur des « coupures », il est obsédé par le maintien d’une continuité, d’une fluidité constante de son « espace-temps », il ne veut pas d’étapes imposées. Ainsi, tout arrêt potentiel ne doit pas être subi, mais choisi par le client, des « moments remarquables », où son esprit accepte de s’arrêter ponctuellement pour vivre une émotion forte et mémorable, puis fini par regagner son flux quotidienIl y a notamment deux moments à ne pas rater : l’entrée dans l’expérience et la sortie de l’expérience. Sur le modèle des contes pour enfants, pour être mémorable, il faut un vrai début et une vraie fin, donner de la consistance et de l’épaisseur au réel. Tel l’accueil dans une grande maison de luxe, ou le check-out d’un palace 5 étoiles, le soin apporté à ces deux moments, très courts mais cruciaux dans l’expérience, est déterminant pour la satisfaction que vous allez générer et la marque que vous laisserez en eux.

1.3 Séparer la réinvention et l’implémentation en deux approches distinctes

On a pris l’habitude de séparer l’étape de réinvention de l’expérience client, de son implémentation au sein de l’entreprise. Et pour cause, ces deux activités sont généralement dirigées par des entités différentes, avec des méthodes et des cultures différentes. Si l’on donne à nouveau dans la caricature, les équipes Marketing imaginent et livrent un parcours client idéal, et les équipes IT et Process viennent tout raboter pour coller aux réalités organisationnelles. Une fois le parcours idéal élaboré, la suspension du jugement est levée, et les contraintes techniques, juridiques, et financières reviennent au galop, telle une horde de Vikings dans les bureaux ! Impossible de les réconcilier, alors on les sépare pour mieux les gérer. Pourtant, cet affrontement s’explique assez logiquement, il est d’ordre méthodologique.

  • L’approche de réinvention issue du Marketing est orientée client, elle consiste à se demander ce qu’est l’expérience idéale, avant de fabriquer les moyens de la réaliser. Elle part de l’extérieur pour revenir vers l’intérieur de l’entreprise, et s’exprime par une représentation temporelle linéaire, avec une diversité de « variantes » en fonction des interfaces de contact (les fameux canaux).
  • L’approche de réinvention issue de la DSI, est orientée processus internes, elle consiste à mettre en place une architecture a priori, qui permettra de réaliser ce que l’on veut faire aujourd’hui, et ce que l’on projette pour demain. Elle part de l’intérieur pour aller vers l’extérieur de l’entreprise, et s’exprime par une représentation procédurale, un schéma statique illustrant tous les échanges d’informations possibles, mais indépendamment du temps (les fameux logigrammes d’architecture SI, concrètement, des bases de données reliées par des tuyaux, et des valves « oui/non »).

Tout l’enjeu est là, on veut faire coïncider une expérience temporelle linéaire avec une quasi infinité de variantes, et une réalité statique procédurale qui ne saura pas faire autre chose que ce pourquoi on l’a programmé au départ. Et on ne parle là que des systèmes informatiques, si l’on rajoute les processus liés aux infrastructures des canaux physiques, puis ceux liés aux interactions humaines entre des collaborateurs en front et back office… on fait face à une véritable complexité de systèmes multi-dimensionnels et enchevêtrés, c’est cognitivement bien trop difficile à manipuler. Alors on sépare, on découpe, on isole… et on fini par perdre de l’information, perdre des interdépendances vertueuses, et perdre de la valeur.

Ces deux approches sont-elles vouées à ne jamais collaborer, sauf dans la douleur ? Quel moyen avons-nous à notre disposition pour réconcilier la vision client tirée par les opportunités et la vision entreprise tirée par les contraintes ? Comment maintenir une cohérence entre la réinvention des parcours et celle des processus, mais surtout comment s’assurer qu’ils vont réellement être implémentés ?

2. Parcours clients vs Processus internes : cartographier pour piloter

Une des réponses est déjà sous nos yeux. La complexité possède ses outils de lecture, pour la comprendre et agir en son sein, on la modélise. On utilise des représentations complexes. Il est intéressant de constater que Parcours et Processus ont tous les deux déjà leurs représentations propres.

Les processus par exemple, se cartographient avec un langage précis et normalisé : celui des logigrammes (flowchart), une suite de boites reliées par des flèches avec des libellés représentant l’enchainement des opérations et des décisions.

Pour les parcours clients, c’est un peu moins structuré… il n’y a pas de formalisme unique et on trouve ainsi une profusion de cartographies de parcours, différentes en fonction de l’usage qu’on en fait :

  • Pour comprendre son client : à l’échelle du cycle de vie du client, en dehors de toute relation avec une entreprise, une marque ou ses produits. Il s’agit bien souvent de comparer les résultats des études clients sous le prisme d’un parcours temporel, afin d’identifier les irritants majeurs et les territoires d’opportunités
  • Pour structurer son offre : en général cette représentation intervient au niveau d’un « moment de vie » en particulier. On souhaite alors synthétiser les résultats de la phase d’idéation, comparer sur une ligne de temps les besoins clients identifiés avec l’offre existante ou de nouveaux concepts
  • Pour guider la mise en œuvre : à l’échelle d’un service ou d’un canal précis, il s’agit de décrire le fonctionnement détaillé d’une solution en suivant les étapes d’utilisation, puis de mapper les adhérences avec des « briques techniques » existantes, ou des parties prenantes. On est quasiment dans du processus… cela devient donc intéressant !

La cartographie d’un parcours client et celle d’un processus sont donc relativement similaires et connectées. Les deux partagent cette nature arborescente apte à représenter la complexité des relations. Elles permettent dans le même temps une visualisation Macro et Micro pour favoriser la prise de recul, et sont tout à la fois des outils de réflexion et de construction, que des moyens de communiquer et de partager un « mode d’emploi » aux différentes parties prenantes. La cartographie devient ainsi la pierre angulaire, qui permet de faire co-évoluer dans le même temps réinvention et industrialisation de l’expérience client, à la fois processus et résultats. Tel le brin d’ARN-m entre deux brins d’ADN, elle représente et incarne un système à l’interface du cycle de vie du client et de celui de l’entreprise.

Des représentations pour réconcilier parcours et processus, et structurer la démarche avec un langage commun… ok, mais ce n’est pas suffisant pour l’orchestrer et la piloter en continu. Pour être parfaitement opérant, le système a besoin d’indicateurs en complément, afin de mesurer l’écart entre l’expérience client réinventée, l’expérience client implémentée, puis industrialisée. Pour cela je recommande l’utilisation d’une grille simple de type AOM (Ambition, Objectifs, Métriques), que certains connaissent certainement sous l’appellation OKR (Objectives & Key Results). Cette grille est à utiliser à chaque étape de la démarche pour structurer les choix, les priorisations et prises de décisions, elle sert à rythmer, et à donner un cap commun pour progresser de l’expérience client actuelle à l’ambition cible !

3. Plus qu’une disruption, une démarche d’amélioration continue

Nous avons abordé les écueils des démarches de réinvention de l’expérience client : trop de temps passé à construire des personas et des parcours clients « parfaits », pour au final tout découper et dégrader lors du passage à l’implémentation.

Nous avons également parlé du pouvoir de la représentation conjointe des parcours et des processus au sein d’une même cartographie flexible et évolutive, le tout orchestré par des indicateurs types AOM (ou OKR), afin de s’assurer d’aller dans la bonne direction, et de fédérer les équipes !

Récapitulons la démarche globale, pour ne pas vous laisser repartir d’ici bredouille 😉

  • Phase 01 – CADRAGE : Rassemblez toutes vos données de connaissance client (enquête, benchs, …) toutes vos données de connaissance entreprise (process, stratégie, …) et construisez séparément deux parcours linéaires, découpés en phases temporelles (avant, pendant, après) : la trajectoire actuelle de vos clients, la trajectoire actuelle de votre entreprise. Définissez des objectifs et des indicateurs clairs à suivre pour chacun (satisfaction client, performance commerciale, …)
  • Phase 02 – DESIGN THINKING (Inspiration, Idéation, Implémentation) : Alignez vos deux cycles de vie (client et entreprise) et cherchez les points d’adhérence et les interactions. Commencez à simplifier et harmoniser vos parcours pour répondre aux objectifs, construisez un logigramme de parcours idéal rassemblant les actions clients et les actions collaborateurs, sans détailler la nature de l’interface (les canaux). Vous pouvez dans un premier temps dessiner une grande « boite noire » à la place, à ce stade vous pouvez bien sûr faire des ateliers, des tests, pour valider chaque trajectoire avec les parties prenantes.
  • Phase 03 – INDUSTRIALISATION : Une fois la nouvelle expérience validée, détaillez la « boîte noire » en fonction des canaux d’interaction entre le client et l’entreprise (par exemple digital, à distance, physique), puis mappez tous les moyens, ressources et outils en adhérence (existant, en projet, manquant, …). Animez en continu une communauté avec tous les acteurs impliqués pour suivre l’avancement de la fabrication des briques permettant de réaliser la nouvelle expérience, sans oublier le suivi de l’évolution des métriques validant l’atteinte des objectifs.

En continu, la cartographie s’enrichit, se développe, se complexifie, tout l’art de la « data visualisation » entre en scène pour gérer la complexité, elle sert de véritable point de repère à tout moment pour l’équipe, afin de suivre l’avancement de la fabrication et la performance de la nouvelle expérience client. Cet outil peut se décliner sous une infinité de canevas, et de modalités (posters papier ou outil digital). Tout l’enjeu est justement de trouver la bonne forme à chaque fois, l’adapter au contexte des projets et des secteurs, ainsi qu’à la maturité et la culture des équipes. C’est ce que nous faisons notamment chez Tenzing conseil auprès de nos clients ! Alors si cela vous intéresse, n’hésitez pas… poursuivons la discussion autour d’un mail ! 😉

 

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