Impact sociétalPoints de vue

Associations et entreprises : refonder les stratégies d’alliance pour des transitions sociales et sociétales durables

Par 21 septembre 2023 Pas de commentaires
Impact sociétal Points de vue

Article co-écrit avec Anne Douang

Les stratégies d’alliance entre associations et entreprises, capitalisant sur leur complémentarité, sont
incontournables pour mener les transitions sociales et sociétales durables. Un mouvement de
professionnalisation touche actuellement les entreprises et les associations, renforçant ainsi ces stratégies d’alliances.
Bien que ce mouvement vise à démultiplier leur impact sur la société, il peut conduire à certains écueils pouvant justement affaiblir cet impact. Risque de déstabilisation organisationnelle, instabilité des financements, mauvaise allocations des ressources humaines et financières font partie des écueils rencontrés dans ces stratégies d’alliance.
Nous vous partageons dans ces quelques pages un retour d’expérience sur ces écueils en tant qu’observateur avec notre casquette de cabinet de conseil, mais également en tant qu’entreprise coopérant au long cours avec un écosystème d’associations. Notre vision après 6 ans d’existence : entreprises et associations sont certes complémentaires mais cette complémentarité n’est créatrice d’impact que si chacun connait et respecte les limites de chacune.

Nous assistons ces dernières années à une mise en lumière accrue des relations qu’entretiennent associations et entreprises. Les formats de coopération évoluent au profit de stratégies d’alliance entre ces acteurs de nature différente. Les dons des entreprises ne cessent d’augmenter d’année en année. Si les grands groupes, en volume, donnent plus, les ETI ne sont pas en reste. En cela, la loi Aillagon de 2003 qui fête ses 20 ans a été particulièrement incitatrice. On peut se réjouir de cette tendance qui permet à la fois aux associations de se développer en bénéficiant de ressources humaines et financières, à la fois aux entreprises de mettre en oeuvre une partie de leurs engagements relevant de leur stratégie RSE et RH.

Nous assistons à un dialogue fécond profitable in fine aux causes défendues grâce à des collaborations, diverses et non marchandes, régénérant le lien social par la sensibilisation aux enjeux sociaux et par la redistribution de la valeur créée. Cependant, bien que non marchande, la relation association-entreprise demeure pour partie financière. D’un côté, l’entreprise attend un retour sur son don, de l’autre l’association peut répondre à des besoins sociaux primaires peu compatibles avec l’idée de « ROI ». Pour preuve de la professionnalisation en cours et l’importance accordée à l’efficacité, à la relation et à l’action : la création des directions de l’engagement par les entreprises, les évaluations d’impact pour les associations.

Cabinet de conseil pour des acteurs associatifs, des acteurs publics et des organisations privées, tout en étant une entreprise de l’économie sociale et solidaire à finalité sociale par sa mission, Tenzing jouit d’une position d’observateur lui permettant d’identifier les freins et de constater les écueils de ces partenariats particuliers à la croisée de la philanthropie et de l’investissement social à impact.

Les entreprises pilotent de plus en plus leurs engagements à partir de direction dédiée dont le DG est souvent membre du Comité exécutif. Cela conduit à une implication des entreprises auprès des associations allant au-delà du simple financement. Mentorat, mécénat de compétences constituent les dispositifs corolaires au don. Ils mettent à disposition des outils, des méthodologies de travail différentes s’apparentant à un transfert de compétences, ainsi que des relais de communication. Les associations quant à elles apportent leur connaissance de la problématique sociale que souhaitent adresser les entreprises, un accès à des publics qu’elles peinent à toucher ou dont elles sont moins familières, des formations adaptées pour accompagner au mieux leurs bénéficiaires, opérant un transfert de légitimité à se positionner comme acteur social. Elles communiquent aussi sur des résultats intégrés à leur étude d’impact. Tant que leurs prérogatives sont respectées et qu’une réflexion préalable sur les synergies possibles a été conduite au service des missions, alors la valeur et l’impact sont démultipliés. Un partenariat où tout le monde gagne : l’entreprise, entendue comme entité ayant un projet et collectif de salariés ; l’association, les bénéficiaires permettant
une réduction des inégalités.

Ecueil#1 - Le risque de déstabilisation de l’association

En revanche, lorsque ce n’est pas le cas, le premier écueil est le risque de déstabilisation de l’association. Parce qu’elle dépend de plus en plus de financement privé, elle tentera de satisfaire des demandes de son partenaire qui peuvent traduire une méconnaissance de leur métier et de l’environnement. Prenons l’exemple de cette association favorisant l’acquisition du langage chez les tout-petits (1). Une entreprise mécène avait demandé que cette dernière se source auprès d’autres structures associatives pour identifier des familles à accompagner. Son modèle de recrutement des familles étant fondé sur les prescriptions des PMI, les conséquences pour l’association ont été immédiates : son activité s’est retrouvée perturbée par la difficulté à gérer des partenaires qu’elle maitrisait moins et pour lesquels elle n’avait pas de ressources humaines à dédier.

Ecueil#2 – Le risque de démobilisation des équipes de l’entreprise

Autre écueil, le risque de démobilisation des équipes de l’entreprise : une entreprise décide de créer un programme de recrutement de NEET, vrai enjeu de société, en les positionnant sur des postes qu’elle imaginait accessibles sur la base des softs skills seules, mais qui ne l’étaient pas sans préparation préalable à l’emploi. Les équipes d’accueil, à commencer par les managers, ne disposaient pas du temps nécessaire pour former ces publics éloignés de l’emploi ni des postes adaptés. Résultat : si l’intention était bonne, aucun des jeunes n’a réussi à occuper le poste, et le management intermédiaire a été échaudé par l’initiative.

Ces deux exemples témoignent de l’actuelle courbe d’apprentissage liée à la professionnalisation des entreprises en matière d’engagement.

Le pendant associatif de cette évolution vers plus de professionnalisation est la production d’une étude d’impact qui tend à devenir un incontournable. Quantitatives et qualitatives, celle-ci permet de comprendre les effets des actions réalisées par une structure sur ses bénéficiaires et parfois plus largement sur ses parties prenantes. Définir des indicateurs d’impacts permet aux structures associatives d’orienter leurs efforts pour répondre à leurs missions ; adopter une telle démarche est souvent un signe de maturité. Cette attention portée par les entreprises à la notion d’impact peut se traduire dans le processus de sélection d’associations (appel à projets) où l’impact devient un critère, mais également dans le suivi des actions d’une association financée par des entreprises qui vont mettre en place des indicateurs.

La généralisation des demandes d’étude d’impact peut être perçue comme une preuve supplémentaire du passage d’une logique de don à une logique d’investissement social pour les entreprises.
Cependant, pour que le pilotage soit efficace il est pertinent de penser des indicateurs adaptés à la cause adressée plutôt qu’adaptés au besoin de l’entreprise financeuse. En effet, la conception d’une étude est coûteuse en fonds comme en temps pour les structures associatives.

S’il est toujours pertinent de penser à l’impact, que ce soit en amont ou aval d’une mission, comme il peut être fait pour les politiques publiques, il n’empêche que dans certains cas, l’étude peut constituer une charge trop lourde et difficile à faire financer. En effet, une entreprise souhaite plutôt financer des programmes lisibles, correspondant à ses orientations RSE et/ou de marque employeur, qu’une évaluation d’impact, qui s’inscrit moins dans sa stratégie.

Or, il s’avère que cette étude est demandée dans les appels à projets, parmi d’autres demandes particulières qui peuvent détourner des ressources humaines au détriment du terrain et de l’action
concrète de l’association.

Pour que le pilotage d’une étude d’impact soit efficace, il est pertinent de penser des indicateurs adaptés à la cause adressée plutôt qu’adaptés au besoin de l’entreprise financeuse.

Plusieurs exemples pour illustrer cette tendance. Pour les besoins de sa communication interne ou externe, une entreprise, très attachée à son territoire, demande à une association des indicateurs additionnels sur un périmètre géographique très spécifique. Autrement dit, c’est une charge de travail supplémentaire pour l’association qui aurait pu allouer ses ressources à des bénéficiaires. Autre exemple, le cas d’un appel à projet d’un GAFAM qui réunit des dizaines d’associations passant chacune un nombre d’heures conséquent à préparer leur dossier. Malheureusement, la somme de temps passée par les associations s’est révélée supérieure au montant du financement offert par ce GAFAM. Le résultat : les associations ont travaillé pour la marque et non pour leurs bénéficiaires ! Un juste équilibre reste à trouver entre volonté d’impact tournée vers les bénéficiaires et tentation de reporting venant rationnaliser les décisions de financement.

Ecueil#3 - Le manque de cohérence des stratégies d’engagement

Un troisième écueil illustre pourtant la professionnalisation des entreprises en matière d’engagement : ces dernières prennent le temps de définir des stratégies d’engagement impliquant l’ensemble de l’entreprise. Maximisant l’engagement au sein de ses collaborateurs et du public, la cohérence d’une stratégie d’engagement est primordiale pour une entreprise et le souhait de communiquer dessus est légitime. Mais il y a un risque que la philanthropie soit mise au service de la marque employeur, soumise aux effets de modes. Transition climatique, égalité femme/homme, programmes non genrés…autant de causes dont la légitimité n’est pas remise en question. Mais il est
tentant selon le contexte, de prioriser certaines causes. Cela peut mener à deux écueils :

  • La « servicialisation » des associations qui chercheraient à répondre à la « demande » des entreprises afin de chasser les financements d’entreprise, ce qui détourne l’association de l’impact sur ses bénéficiaires
  • Une réorientation trop brutale des financements provenant des entreprises avec pour conséquence : le retrait ou le non-renouvellement du soutien à certaines associations qui du « Pour que le pilotage d’une étude d’impact soit efficace, il est pertinent de penser des indicateurs adaptés à la cause adressée plutôt qu’adaptés au besoin de l’entreprise financeuse. » du jour au lendemain se retrouveraient en manque cruel de moyens ou totalement délaissées, en fonction de la cause du moment.

Pour éviter ces écueils, les associations ont également leur rôle à jouer, si préalablement ses financeurs lui en donnent les moyens. Ces dernières font actuellement face à d’énormes défis de professionnalisation pour démultiplier leur impact : optimisation de leur processus, structuration de leurs fonctions supports RH et Finance, consolidation de leur modèle socio-économique avec recherche de soutiens pluriannuels, etc. Cette professionnalisation est clé pour développer sa capacité à coopérer avec des entreprises : connaître ses forces et ses contraintes pour accompagner les entreprises dans le partenariat, mais aussi comprendre la culture de l’entreprise et ses enjeux pour adapter son discours et oser affirmer ses positions. Cependant les rapports de force entre financeur et financé sont toujours asymétriques : des coalitions entre associations pourraient être envisagées pour équilibrer les rapports de force et éviter l’effet « saupoudrage » des financements.

Une coopération nécessaire entre entreprises et associations.

Cette coopération constitue un enjeu majeur pour répondre aux défis du XXIème siècle, qui nécessitent non pas tant un accroissement des efforts de la part des acteurs, mais une plus grande coordination afin d’optimiser les initiatives déjà déployées. Entreprises et associations sont certes complémentaires mais cette complémentarité passe par la connaissance des limites de chacune. Les associations sont les plus légitimes dans ce qui relève de la compréhension des besoins des bénéficiaires et pour apporter des réponses à ces besoins sociaux. Elles nécessitent des financements
stables pour pouvoir se professionnaliser et dans certain cas, passer l’échelle pour démultiplier leur impact. Les entreprises peuvent leur fournir ces financements mais aussi les outils et méthodes pour renforcer l’efficacité de leur action. Le modèle de Tenzing aide les entreprises à approfondir leur engagement RSE mais également assiste les associations à passer l’écueil que représente la professionnalisation.

Nous coopérons avec les structures associatives de différentes manières : philanthropie à travers le prix Tenzing, mécénat de compétences, mission de conseil… Après 7 ans, notre compréhension de l’écosystème associatif traitant des inégalités dans l’éducation et dans l’emploi a évolué. Elle sous entend une réflexion sur la meilleure manière de coopérer afin de démultiplier l’impact de ce partenariat. Cela passe par un respect mutuel entre associations et entreprises.

(1) Les noms des associations ne sont pas communiqués pour raison de confidentialité