Co-écrit avec Julien Médina.
L’économie comportementale est une « jeune » approche de l’économie qui remet en cause la rationalité des choix des investisseurs et des consommateurs face à des situations nécessitant une décision (vs. « homo oeconomicus », qui représentait jusqu’à présent l’agent économique rationnel sur lequel se base les marchés).
Des scientifiques se lancent au milieu des années 1960 dans l’étude des raisonnements et jugements économiques avec des approches d’observations « terrain » mis en regard des modèles dominants. Ils démontrent que nous faisons beaucoup d’erreurs de jugements (biais cognitifs) qui sont renforcées par toutes situations qui génèrent des émotions fortes d’une part et d’autre part par les normes et interactions sociales.
Au début des années 2000, ces recherches sont récompensées par plusieurs prix Nobel.
Dix ans plus tard, des best-sellers de vulgarisation des résultats de ces recherches mettent la puce à l’oreille des leaders politiques : le gouvernement Obama en premier, puis d’autres pays européens vont peu à peu mettre en place des Nudge Units (« unités coup de pouce ») pour influencer positivement les comportements des citoyens. Renforcée par les nouvelles découvertes en sciences cognitives et le besoin de repenser les composantes clés de l’organisation, cette pratique prend de l’ampleur dans les entreprises.
Comprendre les erreurs de raisonnement pour influencer « positivement » les comportements.
Le nudge a pour fonction de rendre opérationnels les résultats des recherches en économie comportementale (à l’intersection de l’économie, de la psychologie et plus récemment des neurosciences). Le nudge est différent de tous les autres moyens d’arriver au résultat souhaité dans le fait qu’il garantit la liberté de choix et ne présente pas d’avantage économique.
Critiqué pour ce qui peut s’apparenter à de la manipulation (certains préfèrent le terme « paternalisme libéral »), le nudge n’en reste pas moins un nouvel outil complémentaire efficace pour orienter les comportements des consommateurs et des collaborateurs. Historiquement utilisé par les annonceurs à des fins de « neuro-marketing », les pouvoirs publics se sont emparés de cette pratique pour faire avancer les « petits gestes » écologiques par exemple. En agissant directement sur les biais cognitifs sans jamais forcer les personnes ciblées, cet outil est également utilisé pour accélérer le changement des clients ou de cultures d’entreprise dans le cadre de transformations ambitieuses.
Les différents moyens d’atteindre un résultat :
Pour viser plus de performance dans l’entreprise, un nudge doit être une réponse à un constat argumenté.
Avant de mettre en place un nudge, il convient d’étudier une situation avec soin. Les approches centrées sur l’humain s’accordent sur l’importance de l’observation : ce sont les petits détails identifiés qui feront la différence dans la résolution d’un problème. On retrouve les principes des approches anthropologiques ou ceux de la phase d’inspiration dans la méthode design thinking.
En entreprise, il y a un avantage certain de coupler ces approches avec une démarche conseil qui permet d’évaluer en profondeur les différents aspects du modèle opérationnel (business, attentes clients, processus, modes de travail, management, culture, orga / gouvernance). Chez Tenzing, nous sommes convaincus que prendre en compte les aspects structurels de l’entreprise en plus de l’analyse des comportements collectifs et individuels est nécessaire pour espérer une plus grande performance grâce au nudge.
L’importance d’intégrer le nudge dans vos projets de changement.
Pour tous types de projet, le nudge est un nouvel outil important car il est puissant, facilement adoptable, peu coûteux, écologiquement pertinent et aussi commercialement innovant.
En premier lieu, la pratique du nudge prend de l’importance depuis quelques années en entreprise car elle permet d’exploiter les dernières recherches sur le fonctionnent du cerveau humain. Il existe de très nombreux biais cognitifs (erreurs de raisonnement) qui peuvent être mis à profit pour orienter les comportements. Par exemple la « peak & end-rule ». Cette règle explique précisément le fonctionnement de la mémoire humaine qui nous entraîne (malgré nous parfois) à juger une expérience à l’aide de 2 paramètres seulement : le moment le plus intense de l’expérience et la fin de celle-ci (c’est d’ailleurs une nouvelle explication quant à l’importance du dessert dans un bon repas …).
Ensuite, le nudge vise à rendre visible l’invisible pour orienter et renforcer les comportements. Ainsi, c’est un outil d’une très grande valeur pour traiter les changements de comportements des clients ou des modifications dans les modes de travail et des cultures d’entreprise.
Par exemple côté client, un établissement financier cherchant à augmenter l’épargne chez ses clients fragiles, doit faire sauter plusieurs barrières… L’établissement doit non seulement faire accepter l’idée du bénéfice à long terme, clarifier les aspects complexes et abstraits des produits financiers mais aussi valoriser ce comportement dans une société où la dépense, bien visible elle, est de fait non seulement valorisée mais en plus sert de comparaison sociale). Le nudge propose simplement de montrer l’épargne moyenne des clients dans l’espace client ou de cocher d’une croix les mois d’un calendrier bien physique que l’on affiche sur son frigo où l’épargnant a atteint son objectif.
Enfin, parce qu’il s’appuie sur les sciences humaines et sociales, le nudge s’impose simplement parce que le monde change. Les sciences sociales, intègrent par défaut le changement comme une part centrale des problèmes à résoudre et reviennent sur ce qui a déjà et vu et soi-disant résolu ; elles acceptent que les solutions « d’avant » ne soient plus adaptées au même problème dans un contexte qui a totalement changé. Sans parler des nouveaux problèmes qui émergent, comme par exemple réussir à éviter que les jeunes conducteurs fassent des « stories » au volant ou très récemment des questions relatives aux manières d’engager et de motiver ses clients et collaborateurs dans un contexte anxiogène de distanciation sociale …
3 cas d’usages du nudge :
Le nudge se développe aujourd’hui au sein des organisations à travers 3 champs d’actions principaux : la RSE, le marketing et les RH. Tous s’appuient sur les biais cognitifs et comportementaux de l’être humain, mais peuvent s’incarner et se décliner ensuite de manières très diverses :
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Exemple 1 : RSE & Santé publique
Avec la crise du Coronavirus, le gouvernement a souhaité instaurer dans les premières semaines une attestation dérogatoire de déplacement manuscrite dans le cadre du confinement. Pour le Ministère de l’Intérieur « remplir ce fichier, c’est un réel engagement pour le citoyen. Cela lui permet de comprendre les règles du confinement et la dimension dérogatoire de sa sortie ».
Cette attestation manuscrite volontairement laborieuse à rédiger, a permis de créer des microbarrières (Chevallier, 2020) auprès des citoyens pour freiner la volonté de sortir et s’assurer que les motifs de leurs déplacements soient réellement « impérieux ». En jouant sur ce biais de statu quo, le citoyen doit se demander en amont si le « coût » de la rédaction de cette attestation manuscrite vaut réellement le « coup » de se déplacer.
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Exemple 2 : Marketing & Consommation
Smarties a revu au Canada le packaging de ses paquets pour encourager les consommateurs à limiter la quantité de bonbons ingérés sans les frustrer ou les forcer à stopper leur consommation. Les recherches (Cornil et Chandon, 2014) ont en effet démontré que des petites quantités délivrent le même plaisir, voire plus de satisfaction quand on déguste lentement et en présence…
En conditionnant ses chocolats colorés en 3 petites portions de 15 pièces à détacher au fur et à mesure, l’entreprise suggère que la norme est de manger les Smarties en 3 fois et pas d’un seul coup.
Les résultats, après le lancement du produit, ont démontré que comparé à un produit standard, les consommateurs préfèrent ce nouveau pack et considèrent qu’il y a plus de satisfaction en mangeant les Smarties lentement du fait de la portion réduite.
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Exemple 3 : RH & Reconnaissance
Le groupe Colgate-Palmolive a lancé auprès de ses collaborateurs une politique « d’économie de la reconnaissance » (Steiner, 1984) au sein de l’entreprise, en distribuant des pièces symboliques en bois à des collègues ayant apporté une contribution remarquable à leurs projets.
Les destinataires ne conservent pas les pièces en bois mais les transmettent à nouveau, quand ils le souhaitent, à d’autres personnes ayant participé à des projets menés en créant des environnements de travail agréables et engageants. Les pièces peuvent être distribuées lors de réunions, mais il n’est pas rare que les employés reviennent du déjeuner et trouvent quelques pièces placées anonymement sur leur bureau.
Cette forme de reconnaissance informelle encourage ainsi un engagement collectif des collaborateurs et permet de promouvoir la libre circulation des idées à toutes les strates de l’entreprise.
Servir sa stratégie en mesurant l’invisible.
A travers ces 3 exemples, nous pouvons nous apercevoir que le nudge est bel et bien un outil performant par sa capacité à « tangibiliser l’intangible » dans le but de favoriser l’adoption d’un comportement souhaité. Attention donc à ne pas le penser comme un outil de communication de plus, sans indicateurs de performance, au risque de limiter sa portée et son impact stratégique : le nudge est un moyen permettant d’atteindre des objectifs stratégiques ; pas une finalité en soi.
Prêt à vous lancer ?
Tenzing vous propose d’organiser des ateliers Nudge. A partir d’un diagnostic de votre organisation, nous vous accompagnons pour inventer le ou les nudges pépite(s) et les indicateurs de mesure liés permettant d’incarner efficacement votre stratégie d’entreprise auprès de vos différentes parties prenantes ; et transformer durablement les comportements avec éthique.