Le confinement nous a contraint à expérimenter le travail à domicile et plus globalement, à réinterroger le rapport au travail et à son organisation. D’aucuns prédisaient une généralisation du télétravail et quelques entreprises iconiques comme Twitter annonçaient même le passage immédiat au télétravail total pour l’ensemble de leurs salariés. De notre côté, nous doutions pourtant d’un changement si radical (à découvrir dans notre article « Et si les organisations résistaient au télétravail? »). Deux mois après le déconfinement, qu’en est-il ?
Bien que le télétravail ait finalement été plutôt plébiscité par individus et organisations, on assiste malgré tout à un retour au bureau, certes progressif mais plus rapide que prévu. Ainsi, pas de généralisation massive et rapide du full remote, même si se dessine un recours plus important et mieux organisé au télétravail. Toutefois, l’enjeu qui apparait est moins celui d’organiser et de normer la mise à distance du travail que de repenser l’organisation des activités pour tirer le meilleur parti du travail à distance.
Retour au bureau !?
Le télétravail pendant le confinement n’avait rien de normal. Travail à domicile à temps plein, subi et précipité : difficile d’imaginer qu’il allait perdurer. On pensait tout de même que le retour au bureau serait très progressif et les premières consignes des entreprises allaient plutôt dans ce sens, avec un retour « à la normale » au moins pour septembre.
Assouplissement des mesures sanitaires, réouverture des écoles, fin du chômage partiel ont pourtant accéléré le rappel des troupes sur site. Les pratiques varient selon les entreprises, entre présence exigée 1 à 5 jours ou 1 semaine sur 2 voire 3, mais le retour au bureau s’intensifie, comme le relève un article de 20minutes[1], évoquant « la fin de la parenthèse enchantée du télétravail ». Une manager d’un centre de relations client témoigne de ce retour à la « réalité » :
”Pendant le confinement, on était à 10-15 appels par jours et les clients étaient très compréhensifs : c’était totalement gérable de chez soi, avec son téléphone portable et ses écouteurs. Mais on est très vite remonté à plus de 70 appels ! A ce niveau, c’est indispensable d’être sur site, d’avoir le bon matériel et d’être avec ses équipes pour gérer les problèmes et trouver collectivement des réponses.
Ce témoignage illustre ce que certains comme Olivier Sibony, Professeur Associé à HEC, qualifient d’activités « téléfragiles »* et « télérobustes »* et justifient un retour au bureau : si, dans cet exemple, le traitement d’appels semble a priori pouvoir se réaliser à distance, les contraintes matérielles limitent le télétravail et certaines dimensions collaboratives et d’innovation de l’activité, notamment dans la résolution des problèmes, nécessitent une part de présentiel.
Pas de ruée vers les bureaux toutefois. Une étude de la Dares[2] relevait fin mai que la moitié des salariés travaillaient sur site contre un tiers fin avril mais la part de ceux en télétravail restait élevée deux semaines après le déconfinement (23% contre 25% en avril).
”Etonnamment, les équipes qui avaient le choix ont globalement préféré ne pas revenir au bureau et continuer à télétravailler. Au-delà des contraintes familiales ou scolaires, il s’agit surtout pour une majorité d’entre elles d’un choix de confort de travail
nous explique une responsable marketing d’une entreprise industrielle. Le constat est le même du côté d’une banque : « interrogés pour connaître leurs attentes et leurs souhaits, personne dans les équipes n’a émis le souhait de revenir. »
En effet, malgré des difficultés certaines éprouvées lors du confinement (44% des salariés se déclaraient en détresse psychologique selon un sondage Opinion Way[3]), les salariés ont plutôt plébiscité le télétravail et 71%[4] de ceux qui ne l’avaient jamais expérimenté souhaitent le poursuivre. Gain de temps de transports, meilleure concentration, facilités d’organisation, autonomie accrue… les salariés souhaitent maintenir le télétravail quelques jours par semaines. Également, 85% des DRH[5], souhaitent développer le recours au télétravail…mais pas pour tout le monde et en mode « hybride » : c’est-à-dire que l’activité doit être repensée et réorganisée pour être réalisée à la fois en présentiel et en distanciel (simultanément ou à des moments différents, par une ou différentes personnes).
Le télétravail s’organise et interroge les usages
Plus de télétravail : oui mais comment l’organiser ? Un, deux, trois jours par semaines ? Les mêmes jours pour tous ou au souhait du salarié ? Mise à disposition d’un forfait de jours de télétravail par an ? Télétravail autorisé les vendredis et mercredis ? Quels lieux autorisés pour le télétravail ? Les modalités de télétravail sont nombreuses et leur négociation devrait fortement occuper l’agenda social à la rentrée. Il n’y a évidemment pas d’organisation idéale du télétravail : elle dépend de la nature de l’activité et nécessite de repenser la manière de travailler.
Ce serait une erreur de penser que le télétravail est la transposition exacte du travail présentiel mais réalisé à distance et d’attendre que les collaborateurs occupent leur journée de la même manière au bureau ou chez eux. Quel intérêt, par exemple, de passer sa journée à distance à enchainer les réunions en visio ? Ou de s’isoler, à l’inverse, pour rédiger un rapport au calme les deux journées que l’on passe au bureau ? Quel intérêt, encore, de grands open space qui ne favorisent ni le travail individuel ni le collaboratif ? D’ailleurs, déjà une étude en sortie de confinement relève que 58% des répondants considèrent que les open space ne sont plus adaptés à l’activité[6]. Les locaux en tant que tels doivent demain prouver leur valeur ajoutée par rapport au travail à distance, en mixant par exemple espaces collaboratifs et espaces de concentration[7].
Ainsi, penser l’organisation collective du télétravail c’est déjà repenser la valeur d’usage du bureau et du travail à distance. Plus que de savoir si l’on ouvre le télétravail à 1 ou 2 jours par semaine, l’enjeu est d’abord de s’interroger sur la bonne répartition des activités dans la semaine. Privilégier, par exemple, les temps de coordination et de créativité sur les jours où toute l’équipe doit être présente et ne pas organiser de réunion les jours de télétravail pour tirer le meilleur bénéfice du présentiel et du distanciel.
Au-delà de la question du lieu de travail, le télétravail pose ainsi celle plus générale de son organisation. Hybridation des activités, différenciation des temps et des lieux dédiés aux tâches d’exploitation et d’exploration, prise en compte du caractère « téléfragile » ou « télérobuste » des activités…la période qui s’ouvre représente une opportunité de repenser et d’optimiser le travail. Avec, au cœur de cette dynamique, le manager, comme nous le verrons dans un prochain article…
Retrouvez dès à présent la suite et fin de notre série en 3 parties : la pertinence des notions de téléfragile & télérobuste pour mieux manager demain
*Les notions de « télérobustes » et « téléfragiles » ont été inspirées des travaux d’Olivier Sibony. Consulté à l’adresse https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Olivier-Sibony-Telerobuste-ou-telefragile-le-teletravail-peut-detruire-l-entreprise_3748650.html
[4] https://www2.colliers.com/fr-FR/actualites/2020-Work-from-Home-Covid
[5] selon une étude du BCG pour l’ANDRH https://www.andrh.fr/pressemedias/248/revue-de-presse-le-futur-du-travail-vu-par-les-drh-dans-la-nouvelle-realite-post-covid
[7] Alors qu’aujourd’hui, les nouveaux aménagements type Flex Office se traduisent par une part certes plus importante d’espaces collaboratifs mais dans des open space toujours plus ouverts et dépersonnalisés.