
Trois prompts valent parfois deux jours de slides… Mais soyons honnêtes : notre valeur n’a jamais été là. Ce n’est pas la première fois que le monde du travail tremble devant une machine. Dans les années 1990, on craignait l’automatisation industrielle. Aujourd’hui, l’IA et surtout l’IA générative ne s’attaque plus seulement aux tâches répétitives ; elle touche aussi des tâches cognitives (analyse, rédaction, créativité). Alors oui, notre métier est bousculé mais ce n’est pas une fin : c’est une mutation.
Le conseil industriel est remis en cause. Le conseil utile renaît
Pendant trop longtemps, le consultant s’est défini comme celui qui “apporte une solution à la question du client” (#problemsolving). Nous avons perfectionné des méthodes (design thinking, co-construction, intelligence collective, conduite du changement) sans toujours adopter la façon de penser qui va avec et nous les avons trop souvent traduites en livrables et plannings. Nous avons en partie “industrialisé” les méthodes du conseil, contribuant ainsi à un système de pratiques et de croyances qui réduit l’image du métier à “produire” (des notes, des analyses, des CR, des slides, des messages, des solutions, …), toujours plus rapidement. Mais aujourd’hui, en quelques prompts, l’IA peut analyser, structurer, produire. Or le vrai métier du conseil n’est pas de produire ; c’est comprendre, challenger, transformer … en situation réelle. Et sur ces trois terrains, l’IA ne sait pas encore jouer.
Mon « triangle de valeur conseil » avec ou sans l’IA
1) Questionner, c’est déjà transformer
- Avant de répondre à un client il faut savoir identifier le bon problème, poser les bonnes questions qui permettront d’identifier la bonne question à laquelle répondre. On sème une première graine de changement.
- Avant de « prompter », c’est pareil, il faut savoir poser la bonne question. Cela commence donc par questionner la question, distinguer le symptôme de la cause ! La formule souvent attribuée à Einstein sur les “55 minutes nécessaires pour définir le problème et les cinq dernières pour y répondre” rappelle qu’un bon diagnostic conditionne la solution.
2) Passer de la solution à l’action
- Une recommandation n’a de valeur que mise en œuvre. Le consultant n’est pas un “passe plat”, c’est un entraineur qui sait adapter le jeu en fonction de son adversaire, créer un collectif, mettre en mouvement (merci Luis Enrique).
- L’IA peut produire un plan, mais elle ne crée ni adhésion, ni courage politique, ni gestion des non-dits d’un comité. L’IA lit dans les lignes ; le consultant lit entre les lignes !
3) Sécuriser un résultat tangible
- Définir les objectifs, les conditions de réussite et les boucles d’apprentissage relève toujours du jugement et de la responsabilité humaines.
- Un bon conseil n’est pas une idée brillante : c’est un résultat. L’IA peut mesurer, pas juger sur le terrain, en situation, en contexte
L’IA : mirage de progrès ou levier de développement ?
Les travaux de Cécile Dejoux le montrent bien : l’IA peut devenir un assistant stratégique, mais elle impose aux professionnels de monter en discernement. Elle ne remplace pas la compétence, elle la déplace https://doi.org/10.3917/cafr.447.0040
Le sociologue Yann FERGUSON nuance : la promesse de “libération” du travail répétitif est souvent un mirage https://shs.cairn.info/les-mutations-du-travail–9782348037498-page-23?lang=fr
Derrière l’automatisation, on voit émerger : des surcharges cognitives, la perte d’apprentissage par les tâches simples, une déconnexion du sens.
Et Juan Sebastian Carbonell met en garde : à trop déléguer à l’IA, on se fait déposséder, en particulier “des gestes créatifs de [nos] métier[s]”, réduit au rôle “d’appendices” Un taylorisme augmenté | Éditions Amsterdam.
Quand corriger une production d’IA devient plus long et plus frustrant que de créer soi-même, c’est qu’on a laissé la machine « faire » à notre place.
Notre responsabilité : ne pas devenir des “appendices” de l’IA
Oui, certaines tâches juniors peuvent être automatisées (comptes rendus, analyses simples, etc.). Mais le consultant, surtout les juniors, s’en saisissent, se les approprient pour leur donner un sens et pouvoir passer à l’action, définir, créer une solution et la mettre en œuvre. Le vrai sujet n’est pas « que va faire l’IA ? » mais « qu’allons-nous en faire ? ». Dans le conseil, cela se traduit par trois engagements :
- Replacer la question au cœur de la mission (plutôt que chercher la solution, surtout avec l’aide de l’IA) ;
- Assumer un rôle de co-pilote du client (plutôt qu’exécutant digital) ;
- Construire un modèle hybride où l’IA assiste et l’humain décide, gouverné avec transparence, protocoles de vérification et apprentissage collectif
Le conseil n’est donc pas mort. Il se réinvente
L’IA ne nous vole pas notre valeur ; elle nous oblige à la prouver. Elle fait tomber le vernis industriel du conseil pour revenir à l’essence : transformer, pas livrer.
“Consulting isn’t disappearing; it’s being fundamentally reshaped.” – Harvard Business Review France
Et c’est tant mieux. Le futur du conseil n’est pas dans les slides ; il est dans la mise en action du sens.
En synthèse
L’IA change tout, sauf l’essentiel : comprendre avant de répondre, écouter avant de décider, agir avant de livrer. Ce n’est pas une question d’outils, mais de postures. Le vrai conseil, celui qui accompagne, éclaire et transforme, n’a jamais été aussi tangible. Parce que face aux intelligences artificielles (IA), la seule réponse durable reste une intelligence humaine (IH). C’est là que réside, plus que jamais, la vraie valeur du conseil !